Fin de vie : l’Église de France souhaite un débat plus démocratique

Article tiré de Vatican news
Mgr Pierre d’Ornellas, responsable du groupe bioéthique de la conférence des évêques de France exprime des réserves sur la présentation de la question “fin de vie”, orientée, selon lui vers la possibilité d’un suicide assisté. Sur Radio Vatican-Vatican News, l’archevêque Rennes estime que la question de la fin de vie pose au président de la République française la question du manque d’investissement humain et financier pour développer suffisamment les soins palliatifs.

Entretien réalisé par Jean-Charles Putzolu – Cité du Vatican

Le 13 septembre dernier, Emmanuel Macron a lancé une Convention citoyenne sur la fin de vie qui réunit 150 personnes encadrées par un Comité de Gouvernance composé de différents experts. Ce comité se prononcera fin mars 2024 sur cette unique question :

«Le cadre de l’accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations individuelles rencontrées ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits?».

Sur Radio Vatican-Vatican News, Mgr Pierre d’Ornellas, responsable du groupe bioéthique de la conférence des évêques de France et archevêque de Rennes a constaté un manque de clarté concernant la volonté réelle du gouvernement, et s’inquiète d’une société qui privilégie l’individualisme à la fraternité qui est pourtant une des trois valeurs fondamentales de la République française.

Mgr Pierre d’Ornellas, dites-nous si la voix de l’Église est écoutée dans le débat sur la fin de vie en France?

J’espère que la voix de la sagesse est écoutée. Pour que la voix de la sagesse soit écoutée, il faut que le débat soit vraiment démocratique, c’est-à-dire qu’il mettre en œuvre de façon objective tous les éléments du dossier. Or, je suis inquiet par la question qui a été posée aux membres de la convention citoyenne. C’est une question qui regarde uniquement les situations individuelles.

On ne considère pas les corps sociaux, le corps des soignants, le corps des aidants, tous ceux qui ont quelque chose à dire parce qu’ils soignent. Par exemple, il me semble que le problème est tellement complexe qu’on ne peut pas réduire la réflexion des citoyens à une seule question. J’ai dit à la ministre Agnès Firmin Le Bodo que la seule qualité attendue de ce débat est qu’il soit rigoureusement démocratique, objectif. Beaucoup sont dans l’inquiétude parce que toutes les personnes chargées d’organiser le débat sont des personnes ou des institutions qui se sont prononcées explicitement pour l’euthanasie. Donc il y a quelque chose qui n’est pas démocratique, quelque chose qui ne tourne pas rond.

Selon vous, la formulation de la question posée aux citoyens de la convention induit quel genre de débat ?

Elle induit un débat inspiré par une vision erronée de l’être humain, en magnifiant l’autonomie comme étant absolue. Or, l’être humain n’est jamais dans l’autonomie absolue. Il est toujours dans la relation. Et respecter la liberté d’un être humain, c’est considérer qu’il est d’abord dans une interdépendance. L’interdépendance n’est pas une faiblesse. C’est tout simplement considérer que l’être humain vit dans la finitude. Et donc nous avons tous besoin les uns des autres. Nous avons tous besoin de ces relations. Nous sommes heureux dans cette interdépendance. Et aujourd’hui, dans une société qui prône l’individualisme, dominée par la technique, l’on veut tout maîtriser individuellement, tout contrôler individuellement et donc on veut contrôler sa mort. Alors que ce moment de vulnérabilité, ce moment de finitude, est précisément un moment qui appelle à la fraternité, à l’accompagnement, à l‘écoute, à l’empathie, de telle manière qu’on puisse accompagner quelqu’un, afin de l’apaiser. La loi ne résoudra jamais toutes les situations, tous les cas particuliers. Jamais elle ne résoudra des exceptions. Il y aura toujours des exceptions.”

On observe une fuite en avant vers une gestion radicale de la fin de vie, alors que des alternatives existent comme les soins palliatifs. Pourquoi n’avançons-nous pas plus dans cette direction?

Tout le monde reconnaît qu’il faut développer les soins palliatifs. L’avis 139 du Comité consultatif national d’éthique, dans sa première partie, dit qu’il faut développer les soins palliatifs. Et il précise même qu’il ne faut pas faire de réformes législatives avant d’avoir développé les soins palliatifs. Donc, c’est clair pourquoi le gouvernement est sourd? Pourquoi il n’agit pas? Pourquoi ne fait-il rien pour les soins palliatifs? Il fait bien des petites choses par ci par là, mais il reste 26 départements qui n’ont pas d’unités de soins palliatifs. J’ai interrogé le gouvernement. Sa surdité est incompréhensible. La loi du 9 juin 1999 dit que tout citoyen qui a besoin des soins palliatifs a le droit d’y avoir accès. Donc l’État est en faute. Pourquoi l’État ne reconnaît-il pas sa faute, pourquoi ne fait-il pas un effort? Pourquoi dans la loi du budget actuellement en débat au Parlement, cette question n’est-elle pas abordée? D’où cela vient-il? Est ce qu’il y aurait une idéologie quelque part qui se profile? Est ce qu’il y aurait des a priori?

J’entends beaucoup de soignants qui me disent qu’ils accompagnent des personnes âgées dépendantes. Ils me disent que ce sont des trésors de vie. A une seule condition; qu’on leur donne les moyens de prendre le temps de s’asseoir sur leur lit, de leur prendre la main, de prendre le temps de les écouter. Parce que quand une personne âgée, dépendante, faible, s’exprime, ça lui prend du temps. Et quand on réduit les moyens, j’entends des directeurs d’EHPAD qui me disent «Moi je démissionne parce que ce ne sont plus mes valeurs. On va vers la maltraitance» et ça, je le refuse. Pourquoi le gouvernement n’entend-il pas cela? Tout le monde le sait. Pourquoi le gouvernement ne fait-il rien? Pour moi, c’est une énigme. Je ne comprends pas. Et si j’avais l’honneur de rencontrer le président Emmanuel Macron, je lui poserais la question exactement comme ça. Pourquoi le gouvernement n’entend-il pas? Je pense qu’il me répondrait qu’il est urgent d’y répondre et qu’il ferait en sorte que le budget soit un peu bougé, pour financer non pas la vieillesse, mais la fraternité, qui appelle cet accompagnement, pour financer la formation des soignants et aussi des bénévoles et des aidants, pour qu’il y ait toute cette communauté fraternelle autour de ceux qui sont des trésors de vie et qui sont en fin de vie.